CDC et COBAC : un compromis délicat entre ambition publique et discipline financière

Le 12 juillet 2025, à Malabo, les ministres de l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC) ont franchi un nouveau cap en matière d’intégration financière régionale, en adoptant deux textes majeurs : le Règlement N°01/25/CEMAC/UMAC/CM/COBAC, relatif à la supervision des Caisses de Dépôts et Consignations (CDC), et le Règlement N°02/25 sur le traitement des comptes inactifs et des avoirs en déshérence dans les livres des établissements assujettis.

Derrière l’uniformisation des règles et le renforcement de la stabilité financière régionale, ces réformes révèlent une dynamique plus profonde : l’arbitrage entre la souveraineté des États membres et les exigences d’un contrôle prudentiel centralisé.

Un changement de doctrine réglementaire

Jusqu’ici, ces structures évoluaient dans un vide juridique régional, chaque État membre définissant, selon ses priorités, l’architecture, les missions et les modes de gouvernance de sa propre Caisse. C’est le cas notamment du Gabon et du Cameroun, seuls pays à disposer aujourd’hui d’organismes réellement opérationnels, qui avaient déjà encadré par voie législative ou réglementaire le transfert des avoirs en déshérence vers leurs entités nationales.

La nouveauté du règlement communautaire réside moins dans l’objectif — la gestion sécurisée de fonds dormants ou publics — que dans la recentralisation du contrôle au niveau de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC).

Les structures désormais assujetties à la régulation bancaire

L’article 10 du Règlement N°01/25 est explicite : les Caisses de Dépôt de la CEMAC seront désormais soumises à la supervision de la COBAC, au même titre que les établissements de crédit. Cette supervision s’enclenche automatiquement après l’acte de création national, sans procédure d’agrément préalable — une dérogation au cadre classique du secteur bancaire.

Cette souplesse permet aux États de conserver la main sur la création de ces institutions, tout en soumettant leur activité à un référentiel prudentiel commun. Une fois opérationnelles, elles devront respecter des exigences strictes : critères de solvabilité et de liquidité, règles de gouvernance, obligations de reporting, normes comptables, dispositifs anti-blanchiment…

L’ombre du risque systémique

Cette évolution s’explique par la montée en puissance de ces véhicules publics dans le financement du développement. En gérant des consignations judiciaires, des dépôts réglementés, des fonds de retraite ou encore des avoirs inactifs, elles deviennent des réceptacles majeurs de flux financiers publics et parapublics.

Leur rôle d’investisseur de long terme les expose cependant à des risques de liquidité, de concentration ou de gouvernance. Mal encadrés, ces risques pourraient produire des effets systémiques, d’où la volonté des instances communautaires d’instaurer une régulation homogène, en s’appuyant sur l’expertise technique et le pouvoir disciplinaire de la COBAC.

Toutefois, la COBAC ne pourra ni agréer ni retirer l’agrément d’une Caisse. En cas de manquement grave, elle devra saisir l’autorité monétaire compétente, à qui il reviendra de proposer des mesures de restructuration ou de liquidation.

Unification de la gestion des avoirs dormants

En complément, le Règlement N°02/25 harmonise à l’échelle communautaire la gestion des comptes inactifs et des avoirs en déshérence — une démarche inspirée des pratiques déjà appliquées au Cameroun et au Gabon.

Le texte institue une procédure en plusieurs étapes : information du titulaire après 12 à 36 mois d’inactivité (selon la nature du compte), puis recherche active sur une période de 7 à 9 ans. En l’absence de manifestation, les avoirs sont requalifiés en “avoirs en déshérence” et transférés, dans un délai d’un mois, à la structure nationale concernée, ou à défaut à la Direction nationale de la BEAC.

Ce mécanisme constitue un levier de collecte supplémentaire, avec à la clé des volumes significatifs d’épargne dormante confiés à la gestion des Caisses. Ces ressources, pour être mobilisées efficacement, devront faire l’objet d’une traçabilité renforcée et d’un suivi rigoureux, sous la supervision de la COBAC.

Une réforme à fort impact, mais à mise en œuvre progressive

La réforme entrera en vigueur le 1er septembre 2025. Les institutions déjà actives disposent d’un délai de trois ans pour se mettre en conformité. Pour les États n’ayant pas encore mis en place de Caisse (Tchad, Guinée équatoriale, RCA, Congo), le nouveau cadre pourrait servir de socle à une création structurée, sécurisée et conforme aux normes communautaires.

Cette dynamique s’inscrit dans une logique plus large d’intégration financière régionale. À terme, il s’agit de mobiliser l’épargne domestique, de canaliser les flux financiers vers des projets à fort impact et de créer des instruments souverains capables de jouer un rôle contre-cyclique. Si la supervision bancaire est garante de rigueur, elle devra toutefois éviter de brider la vocation publique de ces entités, ni d’entraver leur capacité à investir sur le temps long.

Cette réforme marque un tournant dans la consolidation du marché financier régional. Sa réussite reposera sur un équilibre subtil entre discipline prudentielle et autonomie stratégique des États.